L’humanitaire en Islam ou les principes du droit des pauvres

Pour M. Rachid Lahlou, l’assistance au pauvre est juridiquement établie dans la loi et dans la foi musulmane. La bienfaisance est un fondement de la croyance et sa conséquence primordiale.

 

L’humanitaire est communément perçu comme visant à soulager les maux des plus déshérités et à faire disparaitre les injustices. Ceci correspond aux principes fondamentaux de l’Islam qui a institué un véritable « droit du pauvre ». En ce sens, l’Islam est essentiellement humanitaire dans son souci de lutter contre les injustices de l’humanité. Le Prophète de l’Islam est d’ailleurs qualifié de « miséricorde pour l’univers » dans le Coran. Ainsi, l’acte humanitaire en Islam emprunte la voie des recommandations et des prescriptions divines qui jalonnent le Texte sacré et acquiert une double résonance : l’affectif est amplifié et régulé par le sens du devoir.

 

La bienfaisance en Islam

Faire le bien est répété à de multiples reprises dans le Coran et la tradition prophétique (Sounnah). Ainsi, le Prophète a dit : « Tout musulman est tenu de faire l’aumône » – « Mais, objecta-t-on, et s’il ne trouve pas (d’argent) pour la faire ? » – « Qu’il travaille de ses mains, répondit le Prophète, pour gagner sa vie et faire l’aumône » – « Mais s’il ne le peut pas ? » – « Qu’il prête une main secourable à une besogneuse victime d’une affliction » – « Et s’il ne le peut pas non plus ? » – « Alors qu’il préconise le bien » – « Qu’en est-il s’il ne le fait pas ? » – « Qu’il s’abstienne de faire le mal, ce qui lui sera compté pour aumône ». Il a dit aussi : « Chaque jour, à chaque lever du soleil, l’homme doit faire des aumônes équivalentes aux articulations de son corps. Juger équitablement entre deux personnes est une aumône ; aider un homme à enfourcher sa monture ou à la charger de ses bagages est une aumône, la bonne parole est une aumône, tout pas fait pour aller à la prière est une aumône ; écarter quelque objet nuisible du chemin est une aumône ». Et aussi : « La meilleure aumône est celle faite avec le surplus des biens. La main de dessus (celle qui donne) vaut mieux que la main de dessous (qui reçoit). Dépense d’abord pour ceux qui sont à ta charge ». Il ne s’agit pas ici d’un mépris à l’égard du besogneux, mais plutôt d’une incitation à la générosité quelle que soit la condition matérielle du donateur. La pratique de la Zakat (ou « impôt social purificateur ») signifie littéralement « purification », « épanouissement ». Elle enseigne à partager avec autrui et institue un principe fondateur et organisateur de la solidarité. La pratique de la Zakat est un facteur d’équilibre et de cohésion sociale qui doit mener à la réalisation de justice sociale.

Dans le coran, il est dit : « Certes, Dieu commande l’équité, la bienfaisance et l’assistance aux proches » et « Adorez Dieu et ne Lui donnez point d’associé. Agissez avec bienfaisance envers votre père et votre mère, envers les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur ».

La notion de bienfaisance en Islam englobe toutes les dimensions et toutes les créatures : elle concerne aussi bien les êtres humains que les animaux ou les plantes. Le Prophète avait une tendresse sans limite envers tous les êtres et a incarné la plus haute vertu dans son comportement. « Son caractère était le Coran », c’est-à-dire qu’il avait fait siennes les valeurs contenues dans le Livre révélé ; celui-là même qui définit le croyant comme celui qui donne aux nécessiteux, aux orphelins, aux captifs (même non musulmans)… pour Dieu. Notre leitmoviv consiste en ces termes : « C’est pour l’amour de Dieu que nous vous nourrissons : nous ne voulons de vous ni récompense ni gratitude ».  Le musulman pratique la solidarité de manière désintéressée, sans attendre de récompense dans ce bas-monde.

 

Répondre au mal par le bien

Faire le bien, c’est aider tous les êtres vivants sans contrepartie et dans le désintéressement le plus total. Ce qui suppose que l’acteur humanitaire en Islam soit fait dans la neutralité la plus complète. Car il n’a pas une vocation politique ou religieuse, mais plutôt une obligation morale et canonique à destination de tous les hommes, musulmans ou non, proches ou lointains, amis ou ennemis… « Voilà ceux qui recevront deux fois leur récompense pour leur endurance, pour avoir répondu au mal par le bien, et pour avoir dépensé ce que Nous leur avons attribué ». L’Islam exclut qu’on puisse utiliser ses principes à d’autres fins qu’humanitaires.

Il est rapporté que, lors d’une année de sécheresse, le Prophète envoya aux habitants de la Mecque de l’argent destiné aux pauvres et ce, malgré que les Mecquois étaient en guerre contre lui et lui avaient fait endurer, ainsi qu’à ses compagnons, souffrance et peine.

 

Islam et droit du pauvre

Vu son importance, la place de l’humanitaire comme pratique en Islam est centrale : elle figure parmi les cinq piliers de l’Islam. En effet, parmi ceux-ci, deux sont consacrés à l’acte humanitaire. Le jeûne de Ramadan, d’abord qui est le mois du partage par excellence et qui permet de se rapprocher de Dieu, mais dont une signification importante est de faire sentir le dénuement auquel sont confrontés les plus pauvres. C’est aussi un mois de largesse couronné par une aumône qui vient racheter les manquements de ce mois béni. La Zakat Al-Mal, enfin, qui est la part que l’Islam attribue aux nécessiteux dans les biens de ceux qui dispose du quorum suffisant et qui institue un véritable « droit du pauvre ». Car les biens que nous possédons appartiennent en réalité à Dieu : « Croyez en Dieu et à son Prophète. Et donnez des biens dont Dieu vous a accordé la gérance ».

Tout un chacun doit savoir que le pauvre a un droit sur ses biens. L’Islam refuse qu’on attente à la dignité du pauvre en le forçant à s’humilier pour assurer sa survie. Au contraire, il faut lui donner ce qui lui revient de droit : « Prélève sur leurs biens une part pour les purifier et élever leurs âmes » dit le Coran. Le but de cette institution financière est de faire régner la bienfaisance et l’amour au sein de la société. Rappelons que le Coran contient de près de deux cents versets encourageant l’aumône et blâmant l’avarice.

En plus de ces obligations, il y a un grand nombre d’incitations. La Sunnah, à son tour, incite constamment le croyant à faire la charité. « Trois chose mènent l’homme à sa perte : l’avarice, la passion et la vanité » dit le Prophète. Et, « la foi et l’avarice ne peuvent jamais s’unir dans le cœur d’un croyant ». L’aumône en Islam emprunte toutes les voies morales, spirituelles et sociales pour toucher le cœur des hommes et s’ancrer en eux une pieuse habitude. Ainsi, l’un des moyens d’expier ses fautes consiste à accomplir des œuvres humanitaires. Le Prophète dit : « l’aumône éteint le péché exactement comme l’eau éteint le feu… ». Avec en toile de fond, le désir ardent d’atteindre la satisfaction divine : « Dieu aime celui qui vient au secours de l’affligé… »

 

Vers une solidarité organique

L’Envoyé de Dieu parle de la solidarité sous forme de parabole avec le corps humain: «Les musulmans sont, dans la bonté, l’affection et la sympathie qui existent entre eux, comme un corps qui, lorsqu’un de ses membres souffre, voit tout le reste de ses membres partager avec lui l’insomnie et la fièvre». C’est une obligation pour une partie de la population que de s’occuper des plus faibles. Le jurisconsulte andalous Ibn Hazm disait: «Il est du devoir des riches, dans chaque cité, de pourvoir aux besoins des pauvres, comme il est du devoir du gouverneur d’obliger les riches à le faire, chaque fois que le montant de la Zakat ne suffit pas à la nourriture, à l’habillement et au logement des indigents et des pauvres se trouvant dans la cité ».

On le voit, l’acte humanitaire est inscrit dans les fondements religieux de l’Islam qui octroie aux démunis un droit de survie prélevé sur le surplus de richesse de la communauté (nationale ou internationale), rendue moralement responsable de l’état d’une partie de ses membres. Le Prophète a dit: « Si une personne va dormir le ventre vide, la garantie de protection divine sera ôtée aux habitants de la cité qui auront négligé de la nourrir

 

Aide aux non-musulmans

L’Islam encourage les croyants à faire l’aumône à tous les êtres humains, quelle que soit leur religion, eur ethnie, leur couleur de peau ou leur langue. Le Prophète lui-même est venu en aide aux non-musulmans qui le combattaient. Leur hostilité ne l’empêchait pas de leur prêter assistance quand ils en avaient besoin. Dieu décrit les vrais croyants en ces termes : « Ils offrent la nourriture, malgré l’amour qu’ils en ont, au pauvre, à l’orphelin et au captifs, en disant: “C’est pour l’amour de Dieu que nous vous nourrissons: nous ne voulons de vous ni récompense ni gratitude.»

L’aide humanitaire musulmane n’est pas exclusive, elle est universelle dans la mesure où chaque être vivant a le droit de profiter de l’aumône des musulmans dont le souhait est d’être concernés par cette parole du Prophète : « Les meilleurs humains sont ceux qui viennent le plus en aide aux créatures de Dieu ».

 

Conclusion

Le travail humanitaire musulman est aussi ancien que l’Islam. Beaucoup de fondations ont vu le jour dans le monde islamique à travers les Waqf, le parrainage d’orphelins, l’affranchissement des esclaves, la libération des captifs de guerre (quelles que soient leurs confessions)… Le lien qui unit l’acte humanitaire et la pratique religieuse a permis d’affermir la conscience de la souffrance de l’autre dans l’être musulman, qui fait du secours au faible une condition inséparable de la validité de sa foi. L’Islam a permis d’établir la générosité au service de la solidarité, légitimée par la Loi divine. Ce qui permet ainsi une adhésion plus large au don et une pérennité plus durable. Ce sont ces principes dont l’humanitaire musulman se revendique.