Entretien avec Anne-Marie Sacquet, ancienne directrice générale de Comité 21
15 ans après le Sommet de la Terre à Rio, où en sont les Agendas 21 réalisés en France. Atteindrons nous l’objectif des 500 d’ici 2008 ?
« Lors du Sommet de la Terre à Rio, 173 chefs d’Etat et de gouvernements ont adopté la Déclaration de Rio ayant pour but de créer un programme d’action pour le XXIème siècle. Chaque Etat signataire s’est engagé à réaliser des stratégies de développement durable ce qui est maintenant le cas en France, puisqu’une stratégie de développement durable a été adoptée en 2003. Elle a été révisée à plusieurs reprises.
Au niveau national, le gouvernement s’engage donc à un certain nombre d’actions évaluées annuellement, tout ceci sous la direction de Christian Bredague, délégué interministériel au développement durable. Les agendas 21 locaux sont également des plats d’actions pour le développement durable mais déclinés, quant à eux, à l’échelle des collectivités. Il s’agit donc de plans d’actions mis en œuvre à l’échelle locale (au niveau des communes, des départements et des régions). Il en existe actuellement 230 en France.
Atteindrons-nous les 500 agendas 21 d’ici 2008 ? Je suis optimiste, parce que parmi les 230 démarches actuelles, environ un tiers provient de régions, de départements, ainsi que de grandes métropoles. Ces Agendas 21 ont intégré parmi leurs objectifs, le soutien aux Agendas 21 des communes et agglomérations, créant indéniablement un effet de levier. Prenons par exemple le cas de la Gironde dont le Conseil Général a mis en place un projet Agenda 21 auprès de ses communes. Le Conseil régional du Nord Pas-de-Calais a, de longue date, instauré des appels à projets pour la mise en œuvre d’Agendas 21 locaux, excellentes initiatives pour « organiser la contagion ». Ces différentes échelles territoriales apportent des moyens financiers, un appui méthodologique ainsi qu’un cadre d’échanges entre les différentes collectivités investies. Par ailleurs, au niveau national, le site http://www.comite21.org/, animé par le Comité 21, offre un outil à la fois d’information et d’émulation entre les collectivités. Dans des conditions, je pense que nous atteindrons sans difficulté le nombre de 500 d’ici fin 2008. »
D’après un sondage paru le 19 janvier 2007 (réalisé par TNS Direct, filiale du groupe TNS, leader de l’information marketing), les problèmes environnementaux seraient la préoccupation majeure de 57% des français (cela avant même l’emploi ou la sécurité). Comment analysez-vous ce chiffre ? L’opinion publique a-t-elle enfin pris conscience de l’importance de la question environnementale ?
« Cela dépend des sondages à vrai dire. Certains sondages mettront l’emploi ou le chômage en première position, d’autres la sécurité ou l’environnement. Nous avons également réalisé en novembre dernier un sondage avec l’institut LH2 qui faisait apparaître une véritable conscience des dangers des changements climatiques, désormais visibles « à l’œil nu ». Ils ont par ailleurs en France des impacts immédiats, par exemple sur les activités touristiques des zones de montagne. Cette prise de conscience publique est née bien avant celle des politiques, puisqu’elle remonte aux tempêtes de 1999. Face à la multiplication des phénomènes, les français sont aujourd’hui convaincus de la réalité du dérèglement climatique et sont persuadés qu’il transformera profondément leur quotidien, ainsi que celui de leurs enfants.
Le deuxième point d’inquiétude concerne l’invasion chimique. C’est notamment le cas pour la qualité de l’alimentation, sévèrement suspectée par les consommateurs depuis l’épisode de la vache folle. Aujourd’hui, de plus en plus de français sont attentifs au contenu de leurs assiettes.
Les français, pour la plupart, portent sur les enjeux sociaux ou environnementaux, une vision de moyen terme, quand l’échelle des politiques reste celles des mandats électoraux. L’opinion, en ce sens, doit exercer une pression constante sur les décideurs. »
Comment qualifieriez-vous l’état de l’environnement en France à l’heure actuelle ?
« C’est une question extrêmement vaste… S’agissant des pays occidentaux, des progrès ont été réalisés dans certains domaines. C’est le cas des émissions des activités industrielles, beaucoup moins dangereuses grâce aux réglementations et aux technologiques de filtrage. Le secteur de l’automobile n’est pas resté à l’écart de ces progrès. Certains secteurs savent anticiper les réglementations et les demandes sociales. Au sein de chaque secteur, certaines entreprises sont plus novatrices que d’autres. Le cas des pays émergents, notamment de la Chine, semble plus préoccupant, entre autre, à cause de l’activité charbon qui dégrade encore plus l’environnement.
En revanche, les mesures mises en place dans les activités de la êche ou de l’agriculture sont loin d’être à la hauteur des enjeux ! L’inertie des administrations et la résistance de certains lobbies bloquent tout progrès malgré l’émergence de cadres plus contraignants au niveau européen et d’une pression de plus en plus forte du public. Ainsi en France, l’état des ressources en eaux, dégradé par l’agriculture intensive, nous offre un exemple accablant. La situation n’est pas plus rassurante pour la biodiversité. Nous sommes en train d’épuiser certaines ressources halieutiques et de dégrader des milieux indispensables pour les équilibres écologiques et la vie sur terre.
Il est impératif que l’écologie devienne un facteur de compétitivité et de valeur ajoutée pour les activités économiques. Pourtant, certaines administrations et entreprises adoptent encore une position défensive, se privant ainsi de l’opportunité d’une conversion à une économie adaptée. Pour ne citer qu’eux, les Japonais ont bien compris que nos modes de production et de consommation allaient radicalement se modifier, ce qui conduira à de nouvelles filières d’activités professionnelles, par exemple dans les secteurs du bâtiment, de l’énergie ou des transports ! Selon les politiques adoptées, il en va de la création ou de la disparition de centaines de milliers d’emplois. Si l’on prend l’exemple du transport routier, il est impératif de redéployer ce secteur au niveau européen, en apportant de la valeur ajoutée en service et transférant le fret sur d’autres modes de transport, sous peine de perdre des emplois. Enfin, il est nécessaire de mobiliser aujourd’hui le tissu des PME, pour qu’elles soient pleinement parties prenantes de ce processus de modernisation des activités économiques. Dans ce sens, les chambres de commerce et d’industrie, les chambres des métiers, ont un rôle à jouer pour renforcer le niveau de responsabilité et de compétitivité de la France. »
Comment coordonner les politiques publiques avec l’action des ONG ?
« Il faudrait tout d’abord que la puissance publique reconnaisse l’intérêt stratégique de travailler avec les ONG et ne se contente pas de les écouter complaisamment ! Il ne fait, aujourd’hui, aucun doute, que dans de nombreux domaines (protection de la nature, de la biodiversité, éducation du citoyen au développement durable, insertion professionnelle des jeunes, défense des droits de l’enfant et des droits humains), les ONG obtiennent des résultats quand de nombreuses politiques tergiversent ou échouent ! Il devient donc urgent que les pouvoirs publics reconnaissent ces expertises et donnent aux ONG les moyens de travailler. Les conventions de long terme, assorties d’outils d’évaluation, doivent être renforcées. Enfin, les ONG, compte-tenu de ces expertises et de la confiance que leur accordent les citoyens, doivent être reconnues comme des interlocuteurs à part entière de la négociation collective, au même titre que les syndicats. »
Qu’est ce qui, selon vous, pourrait servir de catalyseur à l’action environnementale ?
« Je crois que la réponse se trouve dans le formidable succès public rencontré par le pacte écologique de Nicolas Hulot. Comment renforcer l’adhésion des français ? en leur proposant d’être acteurs des changements et non de les subir ; en proposant à chaque individu de prendre sa part de responsabilité, sur la base d’une parole crédible et non de promesses qui ne seront jamais tenues. Dans ce contexte, les ONG sont plus crédibles que les politiques, excepté à l’échelle locale, où les politiques ont un dialogue direct avec les citoyens et peuvent engager des programmes ambitieux, certains Agendas 21 le prouvent. Il nous faut des visions mobilisatrices, des démarches collectives et des politiques légitimes pour les animer.
Concrètement, la problématique environnementale est l’affaire de tous les acteurs : pouvoirs publics, entreprises, ONG, médias… que pourriez-vous dire pour conclure ?
« Le temps est à l’action. Il faut passer des paroles aux actes. C’est ce qu’attendent les français ».
Propos recueillis par S. Shobaki
Hiver 2007