Le réchauffement du climat par le petit bout de la lorgnette

Pas une semaine sans que le changement climatique ne fasse l’actualité ! Il en est question lorsque paraissent ou se préparent les rapports de l’Intergovernemental Panel on Climate Change (IPCC). Des livres de vulgarisation sortent chaque année chez les éditeurs. Les revues grand public consacrent à ce thème des numéros spéciaux. Aucun hebdomadaire, même économique ou financer, ne laisse passer un an sans en parler. Dans les quotidiens, c’est un article par semaine. Ajoutons le cinéma, les radios et la télévision… Les médias analysent-ils « le savoir savant » ou ne font-ils que relayer des propos « clefs en main » ?

Le changement climatique est un thème pluridisciplinaire, donc le journaliste spécialiste ne peut exister. Aucun ne peut tout dominer de la modélisation aux aspects juridiques, socio-économiques, culturels des conséquences ? D’où le recours  à des experts, choisis par leurs compétences, leurs « laboratoires prestigieux » et pour leur discours qui dégage une certaine autorité. Les physiciens sont les plus interrogés. Les propos des journalistes sur ce sujet ne sont pas tant limités par les annonceurs qui les financent que par leurs propres pratiques. Plus que l’autocensure, la recherche du scoop avec une préparation brève et peu d’investigation explique les choix éditoriaux.

Par besoin de cohérence, le regard que les sociétés portent sur leur action est indissociable d’une représentation globale. Alors que la société évolue en profondeur et que la « dynamique » est une valeur positive, le climat est perçu comme en évolution. La mondialisation atteint la climatologie : il n’y a plus de climats mais un climat. Les médias, en cela, véhiculent le discours ambiant.

Le message est simple : le réchauffement actuel est un « changement radical ». Pour la première fois dans l’histoire, l’homme devient acteur et non plus spectateur ou victime du climat. Le changement est lié aux émissions de gaz à effet de serre depuis la Révolution industrielle. Il a commencé, de nombreux aléas en témoignent. La solution consiste à réduire la consommation d’énergies fossiles. Les politiques doivent vite mettre en œuvre des solutions. Pourquoi une telle unanimité ? Les médias ressassent une idée qu’ils contribuent à former. Pour exister, voire s’imposer, ils sont consensuels et n’ont pas intérêt à faire entendre une voix dissonante qui obligerait à la nuance.

Les sujets les plus traités sont le réchauffement et ses manifestations, les GES, le protocole de Kyoto, la politique de Bush. Certains thèmes sont presque passés sous silence, comme la difficulté à modéliser le climat, les marges d’erreur des modèles, ce qui est pourtant crucial en prospective. Les thèmes relatifs à la santé sont peu abordés ainsi que le développement des pays pauvres et les conséquences sociétales du réchauffement. Cette polarisation sur quelques aspects dépend des sources d’information : les 200 dépêches annuelles de l’Agence France Presse (AFP), auxquelles il faut ajouter les revues Nature ou Science ou les revues internationales d’économie.

Le discours médiatique fait peu de place à l’esprit critique. Les auteurs peinent à reconnaître la nature changeante des climats. Le pas de temps de l’histoire des sociétés est absent alors que le réchauffement contemporain débute vers 1850. Les échelles spatiales sont planétaires et locales et les emboîtements d’échelle inconnus : toute observation localisée répond à l’évolution planétaire. Les espaces « menacés » sont sans enjeux humains majeurs. Des « hotspots du global change » sont pointés sur la carte : îles de l’océan indien et du Pacifique, Antarctique et Arctique, Sibérie, glaciers. Les Pays Bas, où une bonne partie de la population vit depuis plusieurs siècles sous le niveau de la mer, ne font pas les unes…

Les solutions ne sont abordées que sous l’angle de la « géo-ingénierie » car pour les journalistes, les solutions techniques existent. « Il reste à trouver les responsables politiques qui veuillent, de par le monde, les mettre en œuvre ». Pourtant, elles ne sont pas totalement satisfaisantes et leur mise en pratique repose sur des principes de gouvernance occultés.

Donnons un exemple : au Brésil, le biocarburant des voitures propres est fabriqué avec des cultures intensives d’OGM très gourmandes en eau d’irrigation. Prôner de telles solutions oblige à aborder la complexité des problèmes environnementaux. Or le discours est manichéen : les « bons », qui ont ratifié le protocole de Kyoto, préoccupés par l’avenir, et les « méchants », irresponsables, faiseurs de profits, qui n’ont pas ratifié Kyoto… Cela alimente un anti-américanisme devenu caricatural après l’intervention en Irak. La réflexion sur la part de l’anthropique dans le réchauffement actuel s’en trouve occultée et les sceptiques, quant à la responsabilité humaine, ridiculisés.

Enfin, le réchauffement est abordé dans une logique alarmiste, voire catastrophiste. Les titres des livres parus récemment se réfèrent à la fin du monde. La presse joue sur l’émotion dans sa tiraille. On évoque pour l’Europe la « mort chaude » ou la « mort froide » pour le futur. L’anthropomorphisme est permanent avec une supposée « contrariété planétaire ». Jamais les côtés positifs du changement ne sont mis en avant. La stratégie de la surinformation est une tactique d’évitement.

Envisager « la terre », c’est donner un caractère international aux solutions donc passer sous silence les enjeux locaux. Le glissement sémantique, voire l’amalgame du réchauffement climatique au changement environnemental, voire au péril écologique est fréquent. Il masque les vrais problèmes : il faut remettre les sociétés humaines au centre du débat à la place de la « planète » ; il faut admettre que tout choix d’une solution dépend des possibilités techniques du moment et n’est jamais sans conséquences et qu’un processus de gouvernance dans chaque territoire est nécessaire à l’application d’un principe de responsabilité vis-à-vis des générations futures.

Martine Tabeaud, Professeur de géographie et climatologie à l’Université Paris I Panthéon – Sorbonne

Hiver 2007